dimanche 8 février 2015

L’organisme Ton avenir en main / Seize your future, une infrastructure sous l’influence de membres et amis de l’Opus Dei ?

Je désire porter à l’attention du public un article paru à la Gazette des femmes du 24 novembre 2011 par la journaliste Melina Shoenborn. L’article en question dressait à l’époque un portrait de l’organisme Ton avenir en main, un organisme canadien (qui a aussi une section anglophone Seize your future) qui offre des ateliers conçus pour aider et je cite «  les jeunes femmes de secondaire 4 et 5 à développer leurs talents de leadership et à acquérir des habiletés d’influences et d’innovation pour devenir des leaders de demain. » Le but de l’organisme est tout à fait noble.
Toutefois la journaliste a oublié de mentionner un élément d’information très important pour les lecteurs et les lectrices de la Gazette des femmes et le public en général. Il est important de dire que la fondatrice de Ton avenir en main Mme Gladys Daoud a fait une entrevue en 2011 à la Gazette des femmes en faisant mention des liens de Ton avenir en main avec l'Association pour le développement socioculturel de la femme.  Dans l’article on dit même précisément que « TAM reçoit le soutien financier de l'Association pour le développement socioculturel de la femme ». De quelle nature sont ces liens et qu’elle est cette association ?
Rectification de la Gazette des femmes
Après des vérifications d’usages de la part de la Gazette des femmes, une rectification plus récente affirme  ouvertement que l’ADSF qui finance étroitement TAM est sous  le contrôle d’une « institution catholique controversée » : l’Opus Dei.
La Gazette des femmes a bien fait de faire cette rectification car c’est bel et bien vrai. Il s'avère -selon une recherche attentive très simple grâce à des documents que l’on peut facilement consulter sur Google - que l'organisme est sous l'influence discrète de l'Opus Dei par l'intermédiaire du groupe féminin l'Association pour le développement socioculturel de la femme. L’ADSF est lié à l’Opus Dei. Voici comment.
Si l’on scrute attentivement des documents officiels de l’organisme Ton avenir en main, on indique que les dons que l'on fait à Ton Avenir en main doit être fait à l’ordre de l'Association pour le développement socioculturel de la femme. Il est ironique de dire comme le soutient  la directrice générale de Ton avenir en main que « TAM n’a aucun lien avec l’Opus Dei » puisqu’un journaliste, Michel Legault du magazine l’Actualité, révélait déjà en 1993 une liste de 24 organismes dont fait partie l’ADSF qui, « bien que n’appartenant pas officiellement l’Opus, sont contrôlés par ses membres et servent les fins de l’œuvre (Michel Legault, l’Actualité, no. vol : 18 no 5, avril 1993, p.24) » .
Il faut le préciser tout de suite. TAM n’anime pas d’activité spirituelle ou religieuse dans le cadre de ses activités. Par contre, son infrastructure est sous le contrôle de membres et amis de l’Opus Dei.
Autre fait qui corrobore mon propos. Mme Sonia Mata est impliqué étroitement à Ton avenir en main. Sur le site de Ton avenir en main, il est fait mention que Mme Mata est actuellement consultante pour le bénéfice de la Fondation pour la culture et l’éducation (F.C.E.).
 Or F.C.E. est un organisme de charité de l’Opus Dei. Mme Mata est aussi associée directement à l’Opus Dei comme administratrice.
Plusieurs personnes de l’Opus Dei ou proche de l’Opus Dei ont été associés à Ton avenir en main. Un exemple éloquent. Mme Marie-Laure Barron a déjà été associé à Ton avenir en main. Or, si l’on fait les vérifications d’usages, elle est la fille de l'ancienne candidate conservatrice Nicole Charbonneau Baron qui elle est membre de l'Opus Dei.
Une mention de Nicole Charbonneau Barron et de sa fille Marie-Laure Barron est décrite sur le site de CBC.
Voici aussi pour le bénéfice de mes lecteurs et lectrices une liste des administrateurs de l'Associationpour le développement socioculturel de la femme. Manifestement ce sont tous des membres de l'Opus Dei et qui relève de son infrastructure discrète. La plus connue étant Mme…Catherine Ferrier. TAM n’a aucun lien d’influence avec l’Opus Dei ?
Il ne faut pas oublier non plus que Condition féminine Canada a déjà octroyer une importante subvention pour le bénéfice de l’Association pour le développement socioculturel de la femme dans le but et je cite « d’aider des jeunes filles de 15 à 17 ans en réalisant un programme unique et novateur de leadership interactif.  Des ateliers de formation et des outils mis à leur disposition leur permettront de développer leurs talents en leadership et d’acquérir des habiletés d’influence et d’innovation » (…)

Cette définition est presque un décalque des objectifs de Ton avenir en main. À moins bien sûr que l'Association pour le développement socio-culturel de la femme soit discrètement derrière Ton avenir en main sans que personne l'affirme ouvertement en rendant la chose publique. Manifestement, la chose est maintenant publique.
 
Ce n’est pas tout. En investiguant plus en profondeur, d’autres éléments sont à considérer pour donner un portrait plus juste de la situation.
Seize your future
L’Association Neeje pour la femme et la famille associée au pendant anglophone Seize your future est de plus associée à l’Opus Dei par l’intermédiaire de la résidence universitaire Valrideau  qui est officiellement lié à l’Opus Dei.
Sur le site de Neej, on indique presque mot à mot les mêmes paramètres que TAM sur le leadership  des jeunes femmes avec une petite distinction religieuse sur le thème « la messe dans votre vie ».
Selon des documents du site de l’Agence de revenu du Canada, la présidente de Neeje pour la femme et la famille, Mme Eleanor Warren est ouvertement une administratrice de Neeje et très  active pour le bénéfice de l’Opus Dei. Le site internet de l’Opus Dei en témoigne publiquement.
De plus on indique que Seize your future utilise le local de la Fondation Jeanne Sauvé pour certaines activités. 
Mme Michelin Lagman est une autre activiste particulièrement efficace du côté du réseau anglophone. Active un temps pour le pendant anglophone de Ton avenir en main - Seize your future-, Mme Lagman est actuellement directrice de la résidence Valrideau à Ottawa lié comme nous venons de le voir à l’Opus Dei. Mme Lagman est aussi active pour le compte de la Work Family Foundation Canada, un regroupement idéologiquement très conservateur qui fait la promotion des valeurs familiales traditionnelles en milieu d’entreprises et dans le monde du travail en général.
De plus, une personne clé toujours au sein de la Work Family Foundation Canada, Mme Eloise Cataudella a un parcours significatif à connaître. Créatrice à ses débuts de l’International Center for Work and Family en Espagne pour le compte de la IESE Business School, une prestigieuse école des affaires lié l’Opus Dei par l’intermédiaire de l’Université de Navarre, Mme Cataudella  est actuellement  au niveau des communications stratégiques pour le compte de l’Institute of Marriage and Family Canada, un organisme conservateur.
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En scrutant très attentivement comme nous venons de le voir les membres féminins de l’Opus Dei, on peut tout de suite y dégager la réflexion suivante.
L’image machiste des années 50 qui colle encore à l’Opus Dei reste à briser car elle est aujourd’hui sur certains aspects largement surfaite. Dorénavant, il faudra regarder le monde des femmes de l’Opus Dei avec plus de nuance, plus de circonspection, d’exigence et d’analyse systémique. Il existe toute une « diversité des classes de femmes » dans l’Opus Dei. Les regroupements de femmes de l’Opus Dei resteraient davantage à être étudier dans les départements universitaires d’études féministes pour élucider et comprendre cette « vocation féminine » aux multiples registres et statuts : numéraires, numéraires auxiliaires, surnuméraires, coopératrices, etc. N’oublions pas que moins de 10% des femmes dans l’Opus Dei sont des numéraires auxiliaires qui s’occupent des tâches ménages dans les centres de l’Opus Dei. Selon le journaliste John L. Allen « la grande majorité des autres sont des surnuméraires, ce qui signifie qu’elles sont souvent mères en plus d’être médecins, avocates, journalistes, professeurs d’université ». (Opus Dei, John L. Allen, édition Stanké, 2006, p.236). Et j’ajouterais de mon côté, femme opusienne chef d’entreprise.
Celle de la femme au foyer ou de la femme de ménage est seulement une mince composante de cette diversité féminine. Celles qui ont de nombreux enfants n’ont pas toujours une absence de diplôme, de connaissance ou de compétence pour gravir les échelons ou les centres névralgiques du pouvoir. Bien au contraire. C’est ce que j’ai tenté d’expliquer par ce texte.
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Voici en annexe un article du journaliste Michel Legault où il est fait mention que l'Association pour le développement socioculturel de la femme est un organisme sous le contrôle de membres féminins de l'Opus Dei. Après cet article, une plainte d’un représentant de l’Opus Dei a été remise au Conseil de presse pour manquement au code de déontologie. La plainte a toutefois été jugé globalement irrecevable par le Conseil de presse.
Le Conseil de presse estimait en 1993 que « le journaliste était en droit de publier le nom de certaines personnes influentes, dans la mesure où ces informations sont d'intérêt public ».
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L'Actualité, no. Vol: 18 No: 5
1 avril 1993, p. 24

Église
 
Opus Dei ou Octopus Dei ?
 
Legault, Michel
 
La phalange du pape utilise toutes les armes, y compris la « sainte coercition » dans sa discrète conquête du pouvoir. Église dans l'Église, elle choisit ses missionnaires parmi l'élite.
 
A 6 h 30, Robert saute du lit et baise le sol de sa cellule en murmurant « Serviam, serviam » (Je suis votre serviteur). Ses ablutions faites, il s'habille et assiste à la messe en latin dans la chapelle. Puis il se rend à son cabinet d'avocat.
 
Robert est membre de l'Opus Dei (Oeuvre de Dieu, en latin), une organisation catholique qui regroupe 79 000 laïcs et 1500 prêtres dans une cinquantaine de pays, dont 550 laïcs et 12 prêtres au Canada. La mission de l'Opus Dei : inciter les catholiques à vivre totalement leur foi.
 
Ses méthodes ne font pas l'unanimité, c'est le moins qu'on puisse dire. D'ex-membres, mais aussi des autorités religieuses, l'accusent d'infiltrer les centres névralgiques de la société pour imposer en secret une idéologie ultraconservatrice. On l'a même qualifiée d'Octopus Dei.
 
Peu avant la béatification du fondateur Josemaria Escriva de Balaguer en mai 1992, l'abbé Jacques Trouslard, spécialiste de l'épiscopat français sur les groupes sectaires, après 10 ans de recherches, comparait l'Opus Dei à la secte Moon. Le père James LeBar, de l'archevêché de New York, dit que « l'Oeuvre a des tendances de secte. Elle fonctionne encore comme si on était en 1950, selon une spiritualité d'avant Vatican II. »
En Espagne, le Centre de réinsertion, orientation et assistance aux membres des sectes a dénoncé le prosélytisme et le fanatisme des membres de l'Opus, ainsi que le goût de l'organisme pour le secret. Le Centre, qui a eu à « déprogrammer » d'ex-membres de l'Opus, a présenté en 1982 quelques témoignages, comme ceux d'adeptes qui furent recrutés à 14 ans, et d'autres qui ont été expulsés parce qu'ils avaient voté pour le parti socialiste.
 
Le théologien Hans Urs von Balthasar voyait en 1963 dans l'Opus Dei « la plus forte concentration intégriste dans l'Église ». En 1979, au début du règne de Jean-Paul II, Radio-Vatican affirmait qu'il serait « vain de nier que l'Opus Dei possède, en bien des pays, une grande influence dans les domaines politique, économique et culturel ».
L'Opus Dei, qui nie avec véhémence toutes ces accusations, jouit de la protection du pape Jean-Paul II depuis son élection, en 1978 (voir encadré).
 
Au Canada, l'Oeuvre de Dieu inc./Work of God Inc. a son siège social à Montréal, où habitent 90 % de ses 550 membres. L'Opus Dei a toujours refusé de rendre publique l'identité de ses adhérents. Mais grâce à une minutieuse enquête, L'actualité a retracé 170 membres ou sympathisants, et a identifié au Québec 24 organismes affiliés.
 
L'archevêque de Montréal, Mgr Jean-Claude Turcotte, a peu de contacts avec l'Opus Dei. Il dit entretenir de bons rapports avec l'organisme, mais il le trouve élitiste et conservateur, le comparant à l'Action catholique des années 50. « Leur présence dans le milieu ouvrier est assez mince », dit-il. Aussi, « quand ils ont demandé un diocèse, en 1989, on a placé un de leurs prêtres, André Blais, dans une paroisse populaire, Saint-Ambroise, à Rosemont ».
 
En 1957, deux prêtres espagnols de l'Opus Dei, Jose Muzquiz et Juan Martin, débarquent à Montréal. Ils s'installent au 5643, rue Plantagenet, près de l'Université de Montréal, où ils fondent une résidence pour étudiants. En avril 1958, l'Oeuvre de Dieu, une société sans but lucratif visant « à favoriser le développement religieux et culturel des hommes et des femmes », voit le jour. L'organisme s'établit ensuite à Québec en 1964, à Toronto en 1981, à Ottawa en 1986, et tente actuellement de s'implanter à Vancouver.
 
Mgr Norbert Lacoste est sollicité par l'Opus Dei dès 1957. Il est alors directeur du département de sociologie de l'Université de Montréal. Séduit, il adhère en 1960 à la Société sacerdotale de la Sainte-Croix, la section de l'Opus Dei pour les prêtres. Lorsqu'en 1987 il sera publiquement associé à l'organisme par le Mouvement laïque québécois - qui milite en faveur de l'école laïque -, Mgr Lacoste admettra tout au plus, dans une lettre ouverte, avoir « connu les premiers membres de l'Opus Dei et apprécié leur spiritualité ».
En 1965, Mgr Lacoste est l'un des artisans de la commission d'enquête Parent sur la réforme de l'éducation et contribue notamment à la création du Conseil scolaire de l'île de Montréal, où il siégera. Il suggère alors la création de commissions scolaires linguistiques, une idée qu'il regrettera par la suite. Il est ensuite élu commissaire à la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) de 1973 à 1986 sous la bannière du Mouvement scolaire confessionnel, un organisme catholique qu'il qualifie d'« intégriste ». De 1980 à 1986, il fait partie de l'équipe de Michel Pallascio, alors président de la CECM. Mgr Lacoste dit ne pas avoir recruté Pallascio : « C'est plus tard que j'ai su qu'il était membre de l'Oeuvre. »
 
Mgr Lacoste affirme que ses activités dans le milieu de l'éducation n'ont rien à voir avec son engagement au sein de l'organisme : « Les gens s'imaginent que l'objectif de l'Opus Dei est de prendre le pouvoir; c'est l'ancien raisonnement de l'Action catholique ! »
 
Michel Pallascio, lui, a marqué ses six ans à la tête de la CECM par son opposition acharnée à la déconfessionnalisation des écoles. Sous sa présidence, la CECM s'est opposée aux cours d'éducation sexuelle et à une campagne contre le sida. La suggestion de Pallascio que le gouvernement n'accepte que des immigrants judéo-chrétiens a sans doute contribué à sa défaite personnelle aux élections scolaires de novembre 1990. (Pallascio préside toujours le Regroupement scolaire confessionnel, au pouvoir à la CECM malgré la défaite de son chef, et soutenu par le Mouvement scolaire confessionnel.)
 
A l'Opus Dei, on nie que Pallascio soit un membre. « C'est un sympathisant qui requiert de la direction spirituelle depuis deux ans et qui assiste aux cours », dit un dirigeant, l'abbé Escribano. Le principal intéressé, qui n'avait jamais révélé ses liens avec l'OEuvre avant aujourd'hui, « croyait » être membre mais n'en est plus sûr... Il dit de toute façon n'avoir connu l'Opus Dei que peu avant les élections scolaires de 1990. C'est Louis Haeck, un collègue de l'Association des juristes catholiques du Québec (AJCQ) et membre de l'Opus Dei, qui l'a initié.
 
Haeck est conseiller juridique pour l'IATA, l'Association internationale des transporteurs aériens. Avec Pallascio, il est l'un des sept qui ont fondé en 1981 l'AJCQ, un organisme dont les objectifs, même s'ils ont changé en cours de route, épousent de près ceux de l'Opus Dei. Les cinq autres fondateurs sont les juges Marcel Trahan, Jacques Trahan et Réjeane Colas, le maire d'Outremont Me Jean Pomminville, ainsi que Me Émile Colas. Me Colas est l'avocat-conseil de Laissons-les vivre, un mouvement contre l'avortement dirigé par le trésorier de l'AJCQ, Me André Morais. Même s'ils connaissent l'Opus Dei, Me Colas et Morais disent ne pas en être membres : « Je ne fais pas partie de sociétés secrètes », dit Me Colas.
 
Le président de l'AJCQ, Me Alexandre Khouzam, fréquente l'Opus Dei depuis 15 ans mais affirme lui aussi ne pas en être membre. L'actualité a découvert qu'il représente toutefois la Fondation pour la culture et l'éducation, un organisme affilié à l'Opus, dans sa tentative pour faire modifier le zonage afin d'agrandir Montboisé, une résidence pour étudiantes près de l'Université de Montréal. L'AJCQ compte cependant un autre membre déclaré de l'Opus Dei : Ernest Caparros. Juriste renommé internationalement et professeur à l'Université d'Ottawa, Me Caparros est l'un des leaders de l'organisme au Canada.
 
Les membres de l'Opus Dei font souvent partie de mouvements contre l'avortement sans révéler leurs liens avec l'Oeuvre. Au Québec, on compte une demi-douzaine de médecins dans l'Opus, dont le Dr André Allaire de Drummondville, où il est bien connu, qui a milité avec succès contre l'ouverture d'un service d'avortement subventionné à l'hôpital de cette ville.
 
De l'aveu de son président, Me André Morais, « Laissons-les vivre a des liens très étroits avec Campagne Québec-Vie », un organisme de lobby politique antiavortement dirigé depuis 1988 par Gilles Grondin, un diplomate à la retraite. Lors des élections fédérales de 1988, ce groupement a fait campagne en faveur des députés contre l'avortement. En 1990, Campagne Québec-Vie a invité le généticien Jérôme Lejeune, qui a fondé en France un organisme contre l'avortement, Laissez-les vivre, à venir défendre le point de vue provie à la commission parlementaire chargée d'étudier le projet de loi C-43 sur l'avortement.
 
Joint à son bureau de Paris, Jérôme Lejeune, un chercheur français de renommée internationale qui a découvert l'origine du mongolisme, se défend d'être membre mais « trouve remarquable ce que fait l'Opus Dei ». Sa fille et son gendre en sont membres et lui-même a reçu un doctorat honoris causa des mains d'Escriva. Lejeune effectue régulièrement des séjours au Québec depuis 1958.
 
L'Opus Dei courtise l'élite d'aujourd'hui et surtout de demain. Les recrues de choix sont d'abord les étudiants, parce qu'ils sont appelés à « prendre la direction des autres professions et qu'ils sont mieux placés pour donner une formation totale, doctrinale et humaine à tous les autres », dit le vicaire régional de l'Opus pour le Canada, l'abbé Gregory Haddock.
 
Aux universités Laval, McGill, Concordia, d'Ottawa, de Montréal et à l'UQAM, comme dans 479 autres universités à travers le monde, l'Opus peut, selon d'ex-membres, compter sur un réseau de professeurs vigilants à trouver la crème de la crème. Lorsqu'ils identifient une recrue potentielle, ils l'invitent à une conférence ou à un séminaire, généralement sur « l'étude et les débouchés sur le marché du travail », dans un centre ou une résidence de l'Opus Dei, sans que le nom de l'organisme ne soit mentionné. C'est d'ailleurs arrivé au fils du président de la Commission d'accès à l'information, Paul-André Comeau, lors d'un stage à l'Université Louvain-la-Neuve.
 
Tous les centres culturels et les résidences ont une chapelle où les prêtres de l'Oeuvre vont dire la messe. Dans ces endroits, la seule mention de l'organisme est généralement cette inscription, au verso des dépliants : « Les activités de formation spirituelle qui y sont offertes relèvent de la prélature Opus Dei. » Les dirigeants de l'Opus Dei nient toute responsabilité quant aux activités qui s'y déroulent. « Il s'agit d'initiatives de membres », dit l'abbé Haddock. Pourtant, les statuts internes de l'Opus mentionnent que ces organismes sont soumis à son autorité.
 
L'actualité a recensé au Québec 24 organismes qui, bien que n'appartenant pas officiellement à l'Opus, sont contrôlés par ses membres et servent les fins de l'Oeuvre. Outre la Fondation pour la culture et l'éducation, on compte la Fondation Antarès pour la coopération internationale, le Manoir de Beaujeu, la Livrethèque, l'Institut pour le développement de la famille, la Corporation Thacar inc., la Tour-des-Pins, le Centre Piedmont, la Résidence Piedmont, le Centre Haratan, l'Association Haratan, le Centre Riverview, la Résidence Riverview, la Résidence Montboisé, le Club Pharillon, la Résidence Pharillon, le Centre culturel La Rocaille, l'Association pour le développement socioculturel de la femme, le Centre l'Essor de Montréal, le Centre culturel Trimar, l'Association des parents et amis de Trimar, le Centre de formation en hébergement Le Bocage, Prêtres du 21e siècle (fondation) et le Club Ganunda.
 
A ces institutions il faut ajouter : un immeuble de 10 logements au 2131-2152, de la Visitation à Montréal. Acheté en 1987 au coût de 335 000 dollars par deux numéraires, Roderick Macdonald et Anthony Schratz (ce dernier agissant pour deux Espagnols vivant en Amérique du Sud), puis racheté par Macdonald en janvier 1991. L'immeuble, en pleine rénovation cet hiver, rapporte 40 000 dollars par an. En vertu de leur engagement de pauvreté, les numéraires remettent leurs revenus à l'Opus Dei.
 
Depuis plus de 10 ans, la Fondation pour la culture et l'éducation déclare parmi ses actifs un immeuble fantôme, le 2973, rue Fendall à Montréal, dont la valeur actuelle serait de 157 251 dollars. Or à la Ville cette adresse est inexistante.
 
L'Opus Dei compte quatre centres en Ontario : deux à Toronto (Ullerston Study Center et Lancemore Cultural Centre), et deux à Ottawa (Parkhill Center et Valrideau). Dans cette province, l'Opus Dei agit sous le nom de Wellspring Cultural Foundation.
 
A la résidence Riverview, avenue du Musée, près de l'Université McGill, le responsable, David Zillioli, m'explique qu'on n'accepte que les étudiants qui ont des notes élevées, et qui entendent participer à la « vie familiale » du centre, c'est-à-dire aux activités de l'OEuvre. Pour 580 dollars par mois, chaque pensionnaire est nourri et logé, et son alimentation spirituelle est assurée.
 
On lui propose continuellement des séminaires sur la morale, l'éthique, les lois naturelles, des sorties et des voyages. On l'incite à participer à des récollections, sortes de réunions de groupe où se pratique le « love-bombing », une technique de pression affective : la recrue est entourée d'affection, cajolée, valorisée, encouragée à se livrer.
L'Opus Dei recherche les professions libérales, avocats, médecins, ingénieurs ou universitaires. « Les personnes bien éduquées ont la capacité d'avoir plus d'influence dans la société », explique l'abbé Haddock. « Si tu occupes un poste officiel, tu as les droits et aussi les devoirs qui découlent de cette charge », et « le prestige professionnel est précisément ton "hameçon de pêcheur d'hommes" », dit une maxime d'Escriva tirée de son livre Chemin.
 
L'Opus influence-t-elle la vie professionnelle de ses membres ? « Leurs décisions leur appartiennent, dit l'abbé Haddock. Mais l'Opus Dei souhaite qu'ils appliquent les principes moraux qu'ils ont appris. »
 
Les membres sont tenus de pratiquer ce qu'Escriva appelait « l'apostolat de la confidence », c'est-à-dire de recruter parmi leurs amis ceux dont l'âme est le plus digne d'être sauvée. « C'est pour l'apostolat que les gens s'engagent chez nous », dit l'abbé Haddock.
D'ex-membres, comme le Britannique John Roche et Maria del Carmen Tapia, qui fut responsable de la section des femmes de l'Opus au Venezuela, ont accusé l'organisme de pratiquer l'intimidation et la manipulation pour parvenir à ses fins. Le fondateur encourage ses membres à utiliser les grands moyens si la douceur ne suffit pas. Dans Vocation, un manuel de recrutement, on peut lire : « Il est des moments où l'homme résiste à l'appel de Dieu... face aux obstinés il y a une obligation de porter cette sainte assistance, c'est là une tâche que nous, membres de l'Opus Dei, avons l'obligation d'accomplir... Cette sainte coercition est nécessaire ».
 
L'Oeuvre dit ne pratiquer que les enseignements de l'Église, mais nombre de catholiques ne pourraient en être membres, car la liste des exigences est longue : il ne faut pas être divorcé, ne pas vivre en concubinage, ne pas être homosexuel ou franc-maçon, ne pas utiliser de contraceptif, avoir un emploi honorable, connaître et honorer les sacrements, etc. Pas de place non plus pour la critique : « Obéir... L'unique chemin. Dans une Oeuvre de Dieu, l'esprit doit être : obéir ou s'en aller », écrit le fondateur.
 
Il existe plusieurs catégories de membres, selon le degré d'engagement : numéraires, surnuméraires, coopérateurs et prêtres. Les « numéraires » sont l'élite. Ils ont une instruction poussée et s'engagent au célibat. A l'instar du fondateur, réputé pour ses flagellations spectaculaires, certains numéraires s'imposent des mortifications. Ils travaillent souvent dans le monde mais vivent dans un centre et versent tout leur salaire à l'organisme. C'est le cas de Joseph Atkinson, chercheur chez le fabricant de médicaments Merck Frosst, de Patrick Duffley, professeur de linguistique à l'Université Laval, de Roderick Macdonald, professeur de sciences de la gestion à l'Université du Québec à Montréal. D'autres professionnels, comme Me Anthony Schratz, ont quitté leur emploi et travaillent à temps plein pour l'organisme.
 
Depuis 1943, l'Opus Dei ordonne ses propres prêtres, choisis parmi les numéraires les plus dévoués. Les prêtres occupent les postes clés. On en compte aujourd'hui une douzaine au Québec et 60 aux États-Unis.
 
L'OEuvre compte surtout des « surnuméraires », des membres mariés qui contribuent dans une moindre mesure. Richard Bastien, économiste et chef de la division de la dette internationale au ministère des Finances, à Ottawa, est surnuméraire. Il publie des lettres dans les journaux sur des questions de foi et de morale sans mentionner son appartenance à l'Opus Dei (voir Le Devoir, 16 mai 1992, B10).
 
« Les membres mariés ont le devoir de faire le plus d'enfants possible afin d'augmenter le nombre de vocations », dit souvent Mgr Alvaro del Portillo, le prélat de l'Opus Dei. Plusieurs ont de nombreux enfants, comme le Dr Normand Lussier, de Saint-Laurent, membre depuis 1974 et président de Ganunda (un club de loisirs et d'enseignement spirituel pour enfants et adolescents), qui en a huit.
 
Enfin, les « coopérateurs », qui ne sont pas membres, fournissent une aide occasionnelle et essentiellement financière.
 
Il faut jusqu'à sept ans pour être déclaré membre à vie. L'aspirant, qui renouvelle son engagement chaque année, doit accepter un plan de vie rigoureux. Par exemple, on l'encourage à pratiquer l'abstinence sexuelle. Il doit se confesser à un prêtre de l'Opus Dei et se confier à un directeur spirituel. Chaque mois a lieu une récollection et il faut faire chaque année une retraite plus longue.
 
Recrute-t-on des membres avant leur majorité ? « Nous préférons parler de "formation" », dit l'abbé Haddock, qui admet que cette formation peut commencer « à n'importe quel âge ». Les règlements de l'Opus Dei stipulent que des enfants de 14 ans et demi peuvent solliciter leur adhésion officieuse. On a souvent reproché à l'Opus Dei d'inciter des enfants à cacher cette adhésion à leurs parents. « Quand vous avez une fiancée, vous ne le dites pas tout de suite à vos parents », expliquent des dirigeants.
 
A Montréal, deux centres travaillent auprès des mineurs : Piedmont et Pharillon. Le centre Piedmont, rue Plantagenet, organise des sorties, des camps d'été, des tournois de pêche pour les garçons de 11 ans et plus. Le club Pharillon, au 5900, chemin Hudson, organise depuis 1977 diverses activités pour les adolescentes qui veulent « développer leur personnalité, apprendre à partager, à donner »...
 
L'Opus Dei canadien dit ne subsister que grâce aux contributions de ses membres et sympathisants. L'actif atteint sept millions de dollars. L'organisme possède, par ses fondations, deux centres à Ottawa, deux à Toronto, et une dizaine au Québec. La plupart des immeubles appartiennent à deux fondations dirigées par des laïcs : la Fondation pour la culture et l'éducation, et l'Association pour le développement socioculturel de la femme. A Sainte-Foy, l'Association des parents et amis de Trimar, pour les femmes, et l'Association Haratan, pour les hommes, possèdent et gèrent chacun un centre.
 
Ces résidences sont souvent somptueuses. Au Québec, l'Oeuvre de Dieu et la Fondation pour la culture et l'éducation siègent au 3614, avenue du Musée, juste à côté de la résidence d'étudiants Riverview, dans le « mille carré doré », à flanc de montagne.
 
Mais le quartier général de l'Oeuvre au Canada, le vrai siège social, est aux 1374 et 1380, avenue des Pins ouest, à quelques pas de chez Pierre Elliott Trudeau. La résidence (deux édifices contigus) a été acquise des soeurs de la Sainte-Famille au coût de 450 000 dollars par la Fondation pour la culture et l'éducation en juillet 1983. De style néo-mauresque, elle tient plus du club privé que du presbytère. Sur huit étages, des prêtres en robe noire et col romain vont et viennent au milieu des pièces richement décorées, rehaussées de boiseries et de meubles de style. On célèbre la messe tous les jours dans une chapelle, en latin entre membres, en français quand un étranger est présent. A l'entrée, une croix noire appelle chacun à « imiter le Christ et à se sacrifier pour l'Oeuvre ».
 
La plus grande partie de l'immeuble est interdite aux visiteurs. Fernando Mignone, porte-parole de l'Opus, justifie ainsi sa politique : « IBM aussi refuserait de vous laisser visiter ses lieux de travail. »
 
La Fondation pour la culture et l'éducation possède aussi, non loin de là, au 1242, Redpath Crescent, une autre demeure prestigieuse : la maison Deakin, du nom de son bâtisseur, qui a érigé de nombreux édifices publics. Elle sert de résidence aux numéraires féminines.
 
La Fondation possède en outre le Manoir de Beaujeu, à Côteau-du-Lac sur les rives du Saint-Laurent, qui sert de centre de congrès. Ce luxueux manoir seigneurial datant de 1807 a été construit sur un grand domaine. Le Manoir a une annexe, le pavillon Soulanges, où habitent les femmes, dont le rôle est de servir les résidents. On a érigé une haute clôture en bois sur toute la longueur du domaine pour s'assurer qu'hommes et femmes ne se verront pas.
 
Dans les centres et les résidences, les femmes s'occupent de l'administration courante, font la cuisine, le ménage, etc. L'Opus a créé la corporation Thacar, au 4453, Beaubien est à Montréal, pour assurer ces services, sauf au Manoir de Beaujeu.
 
Les femmes ont accès au même enseignement spirituel et doctrinal que les hommes, mais évidemment pas à la prêtrise; elles disposent d'une organisation autonome et leurs centres sont généralement moins luxueux. Selon le fondateur, les femmes n'ont pas besoin d'être savantes : il leur suffit d'être sensées (Chemin, 946).
 
L'Opus Dei est très active dans les milieux d'affaires, comme l'écrivait Jean-Claude Leclerc dans Le Devoir, en 1987 : « Le recrutement de l'Opus Dei dans les milieux bancaires a valu à ses membres et à l'Oeuvre une réputation de puissance financière qu'aucun voeux de pauvreté n'a su dissiper à ce jour. » Deux auteurs français, Jean Duflot et Jacques Kermoal, avancent que ses membres dirigent 300 banques à travers le monde.
 
Roger Miller, ingénieur et enseignant, fondateur associé de Secor, une firme-conseil en gestion, est surnuméraire de l'Oeuvre depuis 10 ans. Son cheminement est typique. Il a fait la connaissance de l'Oeuvre en 1980 par l'Institut pour le développement de la famille, dont la section française est dirigée par Louis-Marie St-Maurice. Cette rencontre, dit-il, a changé sa vie.
 
Miller va à la messe et dit son chapelet tous les jours, malgré son horaire chargé et de fréquents voyages à l'étranger. Comme beaucoup de membres, il tient les catholiques ordinaires en piètre estime : « Il y en a qui vont à la messe le dimanche mais qui ne connaissent rien aux sacrements ou à la doctrine de l'Église. On peut se dire "c'est qui ces imbéciles-là ? !" Si on leur demandait de nommer les vertus théologales ils en seraient incapables. C'est affreux ! »
 
L'exemple vient de haut. Au cours d'une conférence à Montréal en 1988, le prélat de l'Opus Dei, Mgr del Portillo, disait que les gens sans formation religieuse devraient s'abstenir d'avoir des opinions religieuses.
 
Roger Miller est allé à Rome à l'invitation du prélat en 1990. Les dirigeants de l'Oeuvre ont fait forte impression à cet homme d'affaires : « Je me suis aperçu que les entrepreneurs ne sont pas tous dans le monde des affaires. J'avais devant moi les entrepreneurs du Bon Dieu ! » raconte-t-il.
 
En 1986, il fondait avec Jacques Labrèche, vice-président de la Banque de Montréal, un groupe de discussion sélect dans lequel les femmes ne sont pas admises. Jusqu'à l'an dernier, des réunions ont eu lieu dans la salle du conseil de la Banque de Montréal. L'abbé Jose Escribano, un dirigeant de l'Opus, y donnait des cours sur la valeur des différents systèmes politiques à des hommes d'affaires, des professionnels et des cadres d'entreprise. Depuis 1992, les cours sont donnés au Club Saint-Denis. Ils portent cette année sur « les fondements de l'agir humain, les conceptions anthropologiques et les valeurs essentielles ».
 
L'actualité a pu assister à une de ces rencontres. Pendant une heure ce matin-là, une quinzaine de professionnels ont écouté le père Escribano énoncer les principes qu'ils doivent suivre pour être sauvés.
 
L'abbé Escribano, au Québec depuis 34 ans, a été le premier vicaire régional de l'Opus Dei pour le Canada, de 1958 à 1965. D'origine espagnole, docteur en médecine et en droit canon, petit mais costaud, le visage enjoué, il a subjugué son auditoire : « Une morale sans Dieu n'existe pas. La foi ne s'oppose jamais à la raison. La foi, c'est la connaissance par la confiance en l'autorité. » Autre affirmation, que l'assemblée recueille sans sourciller : « La pilule est naturelle, comme le sont le couteau et la mitraillette... »
 
En entrevue, il me dit que l'Opus Dei, qui possède une école de journalisme dans son université de Navarre, à Pampelune, compte des membres chez les journalistes québécois et que, si je le voulais, je pourrais jouer un rôle auprès de mes collègues.
 
Ces journalistes membres de l'Opus Dei sont Paul Waters, chroniqueur de voyage à The Gazette, Alexander Farrell, vice-président et rédacteur en chef de Reader's Digest en anglais, et Fernando Mignone, qui a travaillé pour CTV à Toronto et agit maintenant comme correspondant pour des médias hispanophones, lorsque ses activités de porte-parole de l'Opus Dei le lui permettent.
 
En 1988, Waters aurait tenté d'influencer ses collègues de la salle de rédaction, en particulier une jeune femme, au sujet de l'avortement. Un rapport d'activités à son directeur spirituel a été intercepté et lu dans la salle de rédaction, avec les réactions qu'on imagine ! Waters ne nie pas mais affirme avoir été mal interprété : « Je ne dirais pas à un journaliste quoi écrire; je l'amène plutôt à réfléchir à ce qu'il fait. Je ne ferais rien contre l'éthique journalistique. »
 
Objet d'articles et de dénonciations d'ex-membres - comme le père Vladimir Felzmann, adjoint à l'archevêque de Westminster, le Dr John Roche de Grande-Bretagne, l'historien catalan Raimundo Pannikar -, l'Opus Dei tolère mal la critique. En Espagne, où son influence est la plus forte, elle est intervenue pour empêcher la diffusion d'émissions ou d'articles. Ainsi, en 1979, l'hebdomadaire catholique Vida Nueva sortait avec huit pages blanches : l'Opus Dei avait fait des pressions pour empêcher la publication d'un article de fond à son sujet.
 
« Les ennemis de Dieu ne méritent pas notre tolérance », a dit Mgr Portillo lors d'une visite à Montréal en 1988. Face aux critiques, la réaction typique des dirigeants est de nier en bloc, de tenter de détruire la crédibilité du journaliste ou de l'ex-membre qui témoigne, ou même de poursuivre en justice. En 1977, devant un tribunal de Séville, un prêtre de l'Opus Dei et cinq autres membres ont admis avoir diffamé un ex-numéraire qui avait fait des révélations sur l'Oeuvre. (Il existe un petit ouvrage, Opus Dei, sur l'organisme et son fondateur dans la collection « Que sais-je? ». Son auteur, Dominique Le Tourneau, est un membre de l'Opus. Cette information n'est toutefois pas mentionnée dans le livre, fort élogieux.)
 
En 1987, le sénateur Jacques Hébert et le Mouvement laïque québécois ont réussi à bloquer au Sénat le projet de loi S-7, piloté par le sénateur Rhéal Bélisle, qui visait à donner plus de pouvoirs au leader de l'Opus Dei. Me Caparros affirme aujourd'hui qu'« Hébert a manipulé Paul-André Comeau », alors rédacteur en chef du Devoir qui couvrait le débat. Comeau, aujourd'hui président de la Commission d'accès à l'information, se dit estomaqué de l'accusation mais préfère ne pas commenter.
 
En 1981, peu avant que Jean-Paul II accorde un statut particulier à l'Oeuvre, le prêtre catholique et auteur américain Andrew Greeley sonnait l'alarme : « L'Opus Dei est désespérément affamée de pouvoir absolu au sein de l'Église catholique et, probablement, très près de posséder ce pouvoir. »
 
« La Sainte Église est comme une grande armée », a écrit le fondateur de l'Opus Dei. Dans cette armée de croisés, pas de place pour les demi-mesures : « Nous, nous n'échouons jamais. » Les catholiques qui ne veulent pas combattre sont « des vaincus, des soumis, des sans-foi, des déchus comme Satan ».
 
LES TROUPES DE CHOC DU PAPE
 
L'élection de Jean-Paul II a donné un second souffle  à l'Opus Dei.
 
L'Opus Dei est la troupe de choc du pape Jean-Paul II dans sa croisade pour réévangéliser le monde, en particulier sur des questions comme l'avortement, la contraception, le divorce ou le rôle des femmes, avec d'autres groupes de droite comme Communion et Libération, les Légionnaires du Christ, Legatus, etc.
 
En Amérique latine, on a muselé ou remplacé les « théologiens de la libération », qui appelaient à une plus grande justice sociale, par des sympathisants de l'Opus Dei, en particulier au Chili et en Argentine, mais aussi au Brésil et au Pérou. En tout, 13 évêques de l'Opus oeuvrent en Amérique latine.
 
« Sous Jean-Paul II, l'Église a amorcé un net virage à droite », dit Jean-Guy Vaillancourt, professeur de sociologie des religions à l'Université de Montréal. M. Vaillancourt a noté en même temps l'ascension de l'Opus Dei dans l'Église.
 
Au Vatican, l'Opus Dei est présente dans plusieurs « ministères » : la Congrégation pour le clergé, le Conseil pour l'interprétation authentique des textes légaux, la Congrégation pour la doctrine de la foi, etc. Plusieurs nonces apostoliques (« ambassadeurs » du Vatican à l'étranger), en Allemagne, en Hongrie, en Irak, en Lituanie et en Estonie par exemple, sont membres de l'Opus. Tout comme le porte-parole du Vatican, Joaquim Navarro-Valls, un ex-journaliste espagnol. Et comme les deux experts nommés par le pape après le scandale du Banco Ambrosiano pour faire le ménage dans les finances du Vatican. De plus, par son Université Santa Croce, l'Opus Dei offre des services de consultation pour différents services du Vatican. En tout, une centaine de membres de l'Oeuvre gravitent autour du pape.
 
Jusqu'à la mort d'Escriva en 1975, l'Opus Dei a connu une expansion fulgurante dans une cinquantaine de pays. Selon un document interne, l'Opus pouvait compter en 1979 sur 72 375 fidèles actifs dans 479 universités et écoles supérieures, 604 publications, 52 stations de radio et de télévision, 38 agences d'information et de publicité, ainsi que 12 sociétés de production et de distribution de films.
 
L'élection de Jean-Paul II, en 1978, a donné un second souffle à l'Opus Dei. En 1982, malgré un avis défavorable de 55 des 64 évêques membres de la Commission épiscopale espagnole, il donnait à l'organisme le statut de « prélature personnelle ». Ce statut la soustrait pratiquement au pouvoir des évêques locaux. L'Opus possède son propre prélat (président-directeur général), ses statuts internes, bref une grande autonomie. « Une Église dans l'Église », murmurent ses opposants.
 
Le pape a décidé de béatifier Mgr Escriva de Balaguer en un temps record. A titre de comparaison, le lobby pour la béatification de Jean XXIII, un pape populaire mais progressiste, avait commencé avant celui pour Balaguer et pourtant le cas est toujours en suspens. Une coalition de 80 groupes catholiques espagnols a demandé l'annulation du procès de béatification, arguant que Mgr Escriva est un « saint pour millionnaires » ! Certains l'ont décrit comme un être charismatique, attachant mais imbu de lui-même et réactionnaire. Il avait demandé et obtenu le titre de marquis de Peralta.
 
Pour faire béatifier son fondateur, l'Opus Dei devait faire la preuve d'un miracle attribué à Balaguer. Et comme par hasard, le chef du comité médical responsable de l'évaluation des miracles, le Dr Rafaello  Cortesini, est membre de l'Opus Dei...